Quand Lydia Tár devient chef d’un prestigieux orchestre, le firmament professionnel ne semble jamais assez haut pour son étoile. Reconnaissance, prestige, célébrité, rien ne lui échappe, sauf peut-être elle-même…
Les projecteurs s’allument dans l’auditoire et les considérations savantes de Lydia Tár font un brillant écho à l’introduction biographique du présentateur de la conférence. Elle est au sommet de sa gloire et, en tant que femme lesbienne, semble en tous points souffler un vent de fraîcheur sur le monde très select de la musique. Toutefois, sous des apparences de modernité, elle règne d’une main de fer sur son monde et son autorité quasi sacerdotale, politiquement incorrecte, l’emmène dans les régions brumeuses du harcèlement.
Entre l’histoire sombre d’une ancienne étudiante qui s’est suicidée – peut-être en raison d’une relation abusive – et les jalousies suscitées par les faveurs qu’elle accorde à une jeune musicienne, la blancheur immaculée de ses chemises de soie se ternit dangereusement à coups de on-dit. Tàr est-elle vraiment coupable de ce que les jacqueries du web l’accusent ? On ne le saura pas, mais elle se prend dans les fils inextricables de la toile.
Dans ce film, Todd Field montre avec subtilité l’économie des relations, comme elle se joue, en tapinois, dans un regard, une parole retenue. Le jeu des ego s’illustre ici dans toute sa force dans l’enchevêtrement des relations professionnelles et personnelles. En décidant délibérément de ne pas faire de la vérité un enjeu de l’histoire, Field renouvelle le type du film de montée et de chute sociale en basant sa trame sur les contingences de l’opinion publique. De Tár, l’on ne sait que les apparences ; l’intérieur peut s’imaginer, mais nous restons ignorants, ce qui doit nous faire méditer sur le potentiel de lynchage médiatique qu’offrent les réseaux sociaux.
Malgré quelques longueurs, la dimension esthétique est une réelle réussite. Emmené par une Cate Blanchett à son acmé, le film fait la part belle à des décors et lumières bien choisis et offre de vrais moments musicaux de qualité, l’orchestre étant réellement dirigé par Cate Blanchett, qui a appris le métier pour l’occasion. Les ambiances sont soignées et participent pleinement à l’évolution du récit, qui ne croule pas sous les péripéties. L’ensemble souffre peut-être un peu d’un manque de clarté ou de rythme, mais épouse bien en cela le caractère parfois obscur des ressorts de la vie.