C’est une reprise audacieuse, et très libre, que nous propose l’Atelier Théâtre Jean Vilar pour cette reprise des activités « comme avant », jusqu’au 22 mars. S’inspirant de la nouvelle Mademoiselle Else de Schnitzler, la pièce nous propose de plonger dans les pensées de ladite Miss Else, une journée durant. Ses pensées seront ponctuées d’intervention de Monsieur Von Dorsday.
Miss Else est une jeune fille de 15 ans, éprise de rêves d’adolescente, de liberté, et d’amour, qu’elle ne parvient partout pas à ressentir. Alors que sa journée se déroule normalement, elle reçoit l’appel de sa mère, l’intimant de convaincre Von Dorsday de verser 30.000, puis 50.000 € afin de sauver son père, mêler à une affaire de malversations financières. Il ne s’agira bien sûr pas d’une simple affaire de persuasion argumentée, où chaque parti essaye de rallier l’autre à sa cause par le verbe, mais bien par la séduction. La candide Else sombre alors peu à peu dans l’angoisse de cette prostitution forcée avec ce fascinant Dordsay. De son côté, nous avons des phases d’interview, où il livre une image idéalisée de lui, à tel point qu’il en apparait comme un chevalier blanc… Un relent de #MeTooThéâtre, avec ce producteur sûr de lui, qui se décrit comme un artiste et héros dans tout sa pureté, alors que Else lutte entre le besoin de s’affirmer, de se libérer et la nécessité imposée de récolter de quoi sauver son père. S’en suivent des scènes qui n’ont pas peur de déranger le public, en montrant toute l’ambigüité de cette relation, toute sa violence, jusqu’au moment où l’on voit ce personnage d’une quarantaine d’année se frotter langoureusement à cette fille de 15 ans.
Mais là où la pièce se démarque habilement, c’est en ne tombant pas dans une récrimination manichéenne du méchant – qui l’est par nature – qui abuse de la pauvre gentille – qui l’est par nature. Ici, tout est pris dans un système complexe. La jeune fille délaissée de sa famille, en demande d’attention, d’affection, est livrée à elle-même et forcée par l’autorité parentale à coucher avec Dorsday ; lui – bien que l’on puisse bien entendu douter de sa sincérité – nie en bloc avoir causé le moindre mal et estime avoir partagé avec Else une expérience consentie et enrichissante. Finalement, c’est Else qui aura le dernier mot, et le plus important. Regardant de face cette expérience traumatique, elle se lève, et enfin s’affirme, même si c’est en tant qu’être ayant souffert. Nul appel à la haine, nulle vengeance, mais l’énonciation de ce qui a été, le refus de se taire, tout e restant dans une démarche de réflexion, de tentative de compréhension.
Un récit touchant et humble d’une violence encore trop banalisée. D’une violence que l’on nous propose d’exhiber sur scène afin de la toiser, de l’appréhender, pour enfin tenter de l’expurger.