L’Atelier Théâtre Jean Vilar a récemment eu le plaisir d’accueillir à l’Aula Magna le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui et sa troupe d’une dizaine d’âmes. Sommité de la danse contemporaine aux nombreuses distinctions, il n’échappe pas à sa réputation avec le spectacle Nomad, d’une singularité et qualité rares.
C’est sûr, quand on est profane et que l’on entend aller voir un spectacle de danse – quel qu’en soit le prestige de la troupe – on se terre un temps soit peu dans des préjugés souvent fort exagérés. On s’attend à assister soit à une sorte de fancy-fair très policée soit à une séance de torsions et cris auquel l’on pourrait rétorquer : « Ah, ces artistes quand même ! Quelle extravagance ! » C’est évidemment se tromper lourdement.
Ainsi, nous sommes plongés dans une semi-obscurité durant 1h10 de représentation où nous serons transportés au rythme des corps et musiques aux confins d’un désert, dans l’intimité de notre être. Dans une ambiance visuelle de terre craquelée où s’abattent quelques fois foudres et pluies, partagés entre musiques électro et chants sacrés soufis psalmodiés sur place, nous planons comme dans une litanie, ode à la nature, avec toute sa rudesse – ode au vivant, si solidaire, si précaire. Car c’est, au-delà d’un simple voyage en quête d’exotisme, une communion avec les choses, avec notre essence qui se donne au fil des mouvements circulaires mimant – étant – tantôt l’eau, tantôt l’animal (en ce qu’il est humain également) ; gestes tantôt doux, tantôt violents ou presque soupirants. Nous voilà portés au lieu d’aucun lieu et de tous les lieux, de toutes les contradictions. Ici, les mots n’ont plus leur place. Nous sommes dans un indicible qu’il n’y a plus qu’à contempler, sans chercher maitrise aucune sur les choses. Ces choses sont, et c’est tout. Elles se donnent à nous, comme nous nous donnons à elles, sans fioriture, dans la nudité la plus essentielle et authentique de la corporéité. Alors ne reste plus que la vie, sobre, qui s’élabore, toujours avec l’Autre, toujours dans la précarité de la rudesse du désert aride, de sa propre condition.
D’un point de vue technique, rien à dire : une lumière utilisée avec grande réserve, nous laissant dans une ambiance méditative ; une projection de paysage nu, vaste, où se jouent vies et morts ; des musiques touchantes, envoutantes, qui nous saisissent chaque fois ; et, bien entendu, une chorégraphie époustouflante, qui explore tout – souplesse, rigidité, légèreté, pesanteur – et exécutée d’une main (si l’on puit dire) de maitre par les danseurs.
Une expérience unique, qui, réellement, vous bouleversera.