Népal : le cri d’une génération

Une soixantaine de morts, des centaines de blessés, une Première ministre élue via Discord. Le Népal vient de connaître l’une de ses manifestations les plus importantes mais aussi une des plus sanglantes. D’abord étudiantes, les protestations se sont rapidement transformées en véritable révolution.

Depuis des années, le pays fait face à une crise économique profonde. Plus de 20 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, un jeune sur cinq est au chômage et des centaines de milliers de Népalais sont contraints chaque année à l’exil pour trouver du travail en Inde ou au Moyen-Orient.

À cette situation économique difficile s’ajoute une instabilité politique persistante. Depuis l’abolition de la monarchie en 2008, le pays a connu pas moins de quinze Premiers ministres. La corruption, largement répandue, alimente un mécontentement croissant. Inspirés par les mouvements étudiants en Indonésie, les lycéens et étudiants népalais prévoient une manifestation anti-corruption le 8 septembre.

De la manifestation à la révolution

Quatre jours avant la date prévue, le gouvernement interdit plusieurs réseaux sociaux et plateformes, ce qui amplifie la mobilisation. Depuis plusieurs semaines, sur ces mêmes réseaux, les jeunes népalais dénonçaient le népotisme à travers les hashtags #NépoKid et #NépoBabies. Le 8 septembre, des milliers d’étudiants descendent pacifiquement dans les rues de Katmandou. Lorsque le cortège tente de prendre d’assaut le Parlement, la police, prise de court, tire à balles réelles. Le choc est immense : 19 morts, plus de 400 blessés.

Un couvre-feu est aussitôt instauré. Cependant, malgré la réouverture des réseaux sociaux, la contestation reprend. Le Premier ministre, « KP » Sharma Oli, démissionne. Dans un climat d’émeutes, le Parlement, le palais présidentiel et plusieurs résidences de responsables politiques sont incendiés. Ce n’est que le lendemain que l’armée reprend finalement le contrôle de la capitale.

Discord, nouvel espace politique

Dans les jours suivants, l’avenir du pays se joue… en ligne. Sur Discord, jusqu’à 100 000 personnes débattent du futur gouvernement. Le nom de Sushila Karki, ancienne présidente de la Cour suprême, s’impose. Elle est officiellement nommée Première ministre quelques jours plus tard. Le Parlement ayant été dissous, de nouvelles élections législatives sont fixées pour mars prochain. En attendant, les autorités proclament une journée nationale de deuil le 17 septembre, en hommage aux victimes des violences commises lors des mobilisations.

Quand la pop culture devient symbole de révolte

Ce soulèvement dépasse le cadre national : partout en Asie du Sud, la jeunesse dénonce la corruption en brandissant un symbole inattendu, le drapeau du manga « One Piece ». Publié en 1997 par Eiichiro Oda, il raconte l’histoire de Monkey D. Luffy, embarquant son équipage à la recherche du One Piece afin de devenir roi des Pirates. Affrontant le Gouvernement mondial, Luffy et son équipage sont souvent qualifiés de terroristes. Pour de nombreux manifestants, cette histoire résonne comme un miroir. Brandir ce drapeau revient à affirmer une résistance face à l’oppression et à la corruption, quitte à en payer le prix.

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