Louis Droussin, étudiant en master en sciences politiques à l’UCLouvain, incarne la nouvelle vague d’activistes engagés pour la justice sociale et climatique. À travers son parcours académique et son implication dans divers collectifs tels que « Code Rouge », « Look Down », et « TOTALement Down », il conjugue ses connaissances théoriques avec une action concrète sur le terrain. En préparant une thèse sur l’engagement pour la justice sociale et climatique, Louis se positionne au carrefour des enjeux contemporains les plus pressants. Entre écologie politisée et convergence des luttes, tour d’horizon sur son parcours et sa vision de l’écologie.
Qu’est ce qui t’as conduit jusqu’à l’activisme ?
En secondaire, j’ai toujours été assez actif dans ce qui étaient proposés aux élèves au sein de l’école. En 2018, il y a eu quelque chose d’assez particulier qui est arrivé, ce sont les marches pour le climat. Les délégués de classes ont alors joué un rôle assez important dans l’organisation des marches.
Ma prise de conscience s’est faite, comme beaucoup de jeunes de notre âge, à ce moment-là. Avant, ce n’est pas que je n’étais pas conscient, mais il y a eu un moment où il y a eu une opportunité pour s’engager et je suis rentré dedans parce que ça me parlait et c’était un moyen concret d’action. Je voyais qu’il y avait quelque chose d’historique qui se passait, on le sentait.
Puis je suis entré à l’université et j’ai plus ou moins continué à faire ça au sein d’un collectif qui s’appelait « Student for Climate » qui n’existe plus vraiment. Là aussi c’était de l’organisation de marches, de sensibilisation. On allait dans les auditoires, on essayait aussi de ramener des gens dans le collectif. J’y ai rencontré des gens assez chouettes qui sont toujours actifs dans le mouvement.
Au sortir de la crise du Covid-19, début 2022, on a vu des actions comme des perturbations de Roland Garros ou de certaines étapes du Tour de France. Même si je n’étais pas tout à fait d’accord avec le mode d’action, ça m’a fait réfléchir. Le concept de désobéissance civile était plus au centre de l’attention médiatique.
Au même moment, en Belgique, il y a un collectif qui s’est formé qui s’appelle « Code Rouge ». J’ai donc assisté à une séance d’informations où on m’a parlé de « Ende Gelände » en Allemagne où ils accueillaient des gens de partout en Europe. Je n’avais pas l’habitude de partir à l’aventure comme ça, tout seul. Pourtant, j’y suis quand même allé, c’était génial ! C’était une semaine où je me suis formé à la désobéissance civile, mais il y avait aussi beaucoup de conférences, de maturation politique et d’apprentissage militant.
C’était un genre de « camp climat » où tout était autogéré, où on projetait le monde « d’après », même si c’est utopique. Il y avait là cette perspective de s’opposer aux modèles existants et, en même temps, on proposait un autre monde parce que le mode d’organisation était très démocratique et décentralisé. Je pense qu’on doit aller vers une forme de développement tel que celui-là pour rester dans les limites planétaires.
Depuis, je suis dans « Code Rouge ». A partir de là, on a préparé la première action, qui était contre Total, en octobre 2022 et j’ai été porte-parole de cette action. A l’heure actuelle, je suis toujours actif dans ce mouvement.
Penses-tu qu’un moment historique comme on l’a vu en 2018 avec un certain éveil des consciences pour la crise climatique pourrait se reproduire ?
Il y a eu entre 2018 et 2019, un moment écologiste qu’il n’y aura certainement plus. Il y a eu un retournement de l’opinion, où l’écologie, de manière générale, est parfois vue comme une écologie punitive. Je pense qu’aujourd’hui, il faut avoir un discours qui reste très fort axé sur le climat mais qui montre comment on peut le conjuguer avec l’aspect social en allant plus loin que juste ce discours écologiste. Il faudrait des mesures claires et montrer qu’il y a un chemin pour que les deux aillent ensemble.
“Il faut montrer aux gens qu’ils vont bénéficier de la transition.”
Pour convaincre, on doit arriver à montrer que le package qu’on offre : écologiste et social est bénéfique pour la majorité des classes populaires et moyennes. Il faut montrer aux gens qu’ils vont bénéficier de la transition. Ce n’est pas juste en leur disant « Vous n’allez pas devoir changer ». Ça je n’y crois pas. Je pense que c’est un peu démago de dire ça. Mais leur dire : « Il va falloir changer, mais on vous offre les moyens pour le faire ». Ça, c’est important et je trouve que c’est ce que beaucoup de partis oublient. »
Dans la presse actuelle, on oppose souvent les modes d’actions utilisés dans l’activisme, qu’est-ce que tu en penses ?
Je pense que par modes d’action, il faut imaginer un peu un écosystème et pas forcément les opposer entre eux.
C’est toujours difficile de voir quel est l’impact vraiment concret des mouvements parce que c’est toujours très multifactoriel. Mais je pense que les différentes actions ont lieu d’être dans le sens où elles permettent aussi de médiatiser des choses en disant très peu.
Cela étant, il faut aussi avoir un narratif clair dessus et essayer d’apporter du fond. On parle beaucoup de la forme mais pas forcément du fond. C’est ce que j’aime bien dans les actions de « Code Rouge », on a des actions quand même assez chocs mais on a un discours de fond qui porte au sein des médias. Il y a une cohérence entre la cible et ce qu’on dit. Par exemple, si tu dénonces les subsides qui sont accordés dans le secteur de l’aviation à plusieurs coups de milliards, le kérosène qui n’est pas taxé, etc . Pendant que tu dis ça, tu es devant un aéroport ; ça c’est cohérent, les gens voient le lien. »
Est-ce que selon toi l’écologie est apolitique ?
Je pense qu’il y a plusieurs visions de l’écologie. Il y a des visions libérales, une vision même d’extrême droite, c’est d’ailleurs le thème de mon mémoire ! Il y a aussi des visions éco-socialistes, des visions d’écologie politique, des visions éco-marxistes. Il n’y a donc pas qu’une seule vision de l’écologie. Certaines sont émancipatrices et elles ne sont pas toutes équivalentes. Il y a une erreur pour certains activistes et même journalistes engagés, c’est de croire qu’il n’y a qu’une seule vision de l’écologie et une seule liste de mesures qui peuvent être mises en place pour contrer la crise écologique.
La vision écologiste de l’extrême droite, par exemple, c’est une vision qui vise à exclure toute une partie de la population en promouvant une forme de décroissance oui, mais en ne tenant pas compte de la question sociale et notamment de la question migratoire.
L’écologie n’est donc pas apolitique et ça, c’est important de le rappeler. Il y a d’ailleurs beaucoup d’activistes avec qui je suis en complet désaccord. Pour moi, il faut aborder l’écologie dans toutes ses dimensions sociales. A quoi bon sauver les conditions de vie sur Terre si persistent des inégalités sociales ?
Donc pour toi le plus important pour pérenniser ce genre d’action et obtenir des résultats au niveau politique, la convergence des luttes est essentielle ?
Pour l’instant, je suis dans une phase de mon engagement où je crois toujours aux actions de “Code Rouge”. C’est selon moi par ce genre d’action de désobéissance civile de masse, qu’on va toucher de plus en plus de gens et qu’on va arriver à avoir un impact assez fort sur l’industrie fossile et sur les politiques.
Mais en même temps, il faut avoir une forme de convergence des luttes pour intégrer davantage de personnes dans le mouvement que l’on porte et qui doit s’élargir aussi à d’autres revendications. Actuellement, le constat est là : on n’est pas assez ! « Code Rouge » en décembre, c’était 1.200 personnes. Si on veut que plus de gens rejoignent le mouvement, il faut brasser plus large et aller vers une écologie plus sociale.
D’autre part, je suis convaincu par le fait que ces causes se complètent et qu’on ne peut pas faire d’écologie sans lutte des classes, d’écologie sans antifascisme, d’écologie sans des luttes féministes claires et sans remettre en cause le patriarcat.
De la même manière, on peut avoir des luttes sociales mais si on ne tient pas compte des limites planétaires et qu’on continue à être dans une forme productiviste, on va aussi droit dans le mur. Tout se complète d’une certaine façon. Souvent on est trop divisé pour faire avancer nos causes. Même s’il y a des divergences, je pense qu’il faut essayer de dialoguer.
Anaë Lejeune et Victor van Ypersele