Elle est courageuse, respectueuse et serviable. Il est vide, anéanti et acariâtre. Ils sont brisés, éparpillés en mille morceaux par la vie, dont personne ne semble sortir indemne. Ce roman magnifique, signé Bérénice Pichat et paru à la rentrée littéraire 2024 a déjà reçu le prix des libraires 2025.
Leur histoire a pour décor une maison bourgeoise, dans le Paris des années 30, après la Première Guerre mondiale. Monsieur est infirme et son visage, ses mains, ses jambes, n’en sont plus depuis son passage dans les tranchées. Elle est une bonne à tout faire depuis toujours. Elle frotte, polit et rend convenable pour les autres ce qui ne l’est pas depuis son plus jeune âge. A la fin de la guerre, Madame a décidé de rester. Elle non plus n’est pas épargnée. Faisant montre d’une fidélité à toutes épreuves, se rappelant la promesse de son mariage « pour le meilleur et pour le pire », elle décide de prendre soin de celui qu’elle a aimé, qu’elle aime encore, mais qui n’est plus vraiment l’homme dont elle est tombée amoureuse.
Ce week-end-là, Madame a été invitée par des amis pour un séjour à la campagne. Elle a décidé d’accepter, c’est ainsi que la petite bonne se retrouve en compagnie de Monsieur durant plusieurs jours. Deux êtres qu’en apparence tout oppose se découvrent petit à petit bien plus de points communs qu’imaginés. Monsieur est soulagé que Madame soit partie, il profite de son absence pour élaborer un plan inattendu, comptant sur la petite bonne pour l’épauler…
Ce récit est terriblement humain. La culpabilité, la jalousie, la résilience et la confiance y sont dépeintes parfaitement dans un texte qui mêle prose et poésie. Cette dualité de styles traduit des mécanismes de pensée différents. Nous plongeons ainsi dans l’esprit de Monsieur, de sa bonne ou de Madame avec aisance et leurs âmes nous apparaissent, dénudées de toute fioriture qui rendraient leurs pensées acceptables. Chacun peut se reconnaître dans les personnages, dans leurs côtés louables comme leurs imperfections qui font la beauté de l’humanité.
Grâce à un rythme soutenu, Bérénice Pichat maintient le lecteur en haleine pendant tout le récit. La musique, que ce soit au sens littéraire, par la variation des styles entre la poésie et la prose, ou dans l’histoire car Monsieur était pianiste dans sa vie d’avant-guerre, prend une place importante. Cette histoire envoûtante se lit d’une traite, agréable moment grâce à la valse effrénée dansée entre le lecteur et les personnages, qui ne s’arrêtent que quand il en comprend l’issue.
Malgré l’époque d’après-guerre, le portrait réussi que dresse l’auteure est particulièrement d’actualité et nous expose de façon poétique les rouages du cerveau humain, en équilibre entre souffrance et résilience.
