Entre récit romancé et quête d’authenticité, le biopic séduit autant qu’il interroge. Ce genre cinématographique, qui transforme des vies en drames hollywoodiens, fascine par sa capacité à faire vivre l’invivable. Mais à quel prix ?
Zuckerberg, Trump, Dalida, Oppenheimer,… Tous ont un point commun : ils ont eu la chance de voir leur vie adaptée au cinéma. Autant de destins spectaculaires mis en scène pour séduire le grand public. Le biopic, contraction de « biographical picture », est devenu un genre à part entière, prisé du public comme des studios. Il promet de raconter « la vérité », tout en jouant avec les ressorts de la fiction. Mais derrière l’émotion, c’est la mise en scène et le compromis qui règnent.
À qui profite le crime ?
Derrière l’émotion, une autre bataille se joue : celle des droits et de l’image. De nombreuses œuvres sont co-produites ou validées par les proches du personnage biographié. Et pour cause : un biopic qui ne ménage pas son sujet s’expose à des plaintes. C’est notamment ce qui explique que des figures soient souvent présentées sous un jour flatteur.
Dans le cas de Bohemian Rhapsody, le départ de Sacha Baron Cohen, initialement pressenti pour incarner Mercury, illustre les tensions entre liberté artistique et contrôle narratif. Le comédien souhaitait un film plus cru, plus fidèle à la complexité du chanteur. Mais les autres membres du groupe Queen, impliqués dans la production, préféraient un récit édulcoré. Résultat : un film grand public, calibré pour le succès, mais critiqué pour ses libertés avec la vérité.
Les studios ne s’y trompent pas : le biopic est une machine à cash. Les maisons de disques y voient une vitrine pour relancer des catalogues musicaux. D’où l’abondance de films sur des musiciens, d’Elvis à Amy Winehouse, en passant par Claude François. À chaque sortie, les ventes de disques explosent.
Et les perdants ?
Le biopic a ses héros… et ses absents. Il met en lumière ceux qui ont « réussi » : des génies, des artistes, des chefs d’État. Il célèbre l’ascension, la gloire, le dépassement de soi. Mais il reste muet sur les vies « ordinaires », les destins brisés, les anonymes.
Peu de place pour les travailleurs, les traumatisés, les oubliés de l’histoire. Et pourtant, leur vie, bien que moins spectaculaire, est tout aussi digne d’intérêt. Comme si le cinéma avait peur de l’échec. Comme si les récits de gens “normaux” ne pouvaient pas être porteurs de sens ou d’émotion.
Ceci n’est pas un documentaire
Le biopic, c’est un récit, donc une sélection. Certains faits sont évacués, d’autres exagérés, parfois jusqu’à la fiction pure. Des scènes sont inventées, des dialogues imaginés, des ellipses imposées pour faire tenir une vie entière en deux heures.
Le danger, c’est l’illusion de vérité. Le spectateur croit apprendre, alors qu’il consomme un récit scénarisé. Bohemian Rhapsody, encore lui, illustre ce risque : le film inverse l’ordre des événements pour renforcer la tension dramatique. Il modifie même la chronologie de la maladie de Mercury. De quoi renforcer les archétypes du génie torturé, du héros incompris.
Les biopics fabriquent ainsi des mythes… Mais à force de lisser les aspérités, ils risquent d’effacer la véritable histoire.