Dans le cadre du nouveau manuel d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS), la Fédération Wallonie-Bruxelles me demanda d’écrire un nouvel épisode de la série Tintin. Il s’agissait d’éclairer la sexualité de notre héros, hypocritement tue par une morale rétrograde, mais dont le vide identitaire permettait une réélaboration déconstruite et exemplaire pour nos jeunes.
Avant toute chose, je fus assailli de courriers de la fondation Moulinsart, dont le patron, nouveau mari de la veuve d’Hergé, défendait les intérêts juteux avec une émotion toute désintéressée. Heureusement, la FWB soutint que le projet était de première importance et s’accorda un dépassement de budget de 300.000 € pour payer les droits (« un goutte », me dit-on, dans les dix milliards de dette publique).
Je pus me mettre au travail. « Tintin, après avoir fait le tour du monde, décida un jour de visiter un bar singulier, qu’il apercevait souvent en sortant du train à la Gare du Nord. D’étranges hôtesses étaient assises en vitrine, sous des néons roses. » Le sous-secrétaire adjoint de la commission parlementaire « Passeport pour la vie » fut outré de ces passés simples, jugés réactionnaires et inutilement compliqués pour des élèves de troisième secondaire. Soit. « La prostituée a remarqué Tintin et lui propose d’entrer dans la maison de tolérance. » Le sensitivity reader me hurla en toute bienveillance qu’il valait mieux parler d’établissement de prestations et de travailleur.x.se du sexe.
Je me permis de féminiser le terme, car il était prévu dans le scénario que Tintin eût préalablement demandé son pronom à la personne à vulve qui était sur le point de lui louer la sienne, pédagogie active en prime ! Travailleuse du sexe, donc, et pour sûr, elle le travailla bien, le Tintin !
J’hésitai un peu sur la tournure que devait prendre ce déniaisement en règle. Finalement, par souci de continuité avec l’image traditionnelle que l’on a du personnage, je lui fis découvrir, au terme de cette passe, décemment rétribuée en titres services, son asexualité, teintée d’homo-romantisme. Le sensitivity reader me gratifia enfin de son nihil obstat et m’offrit en remerciement de mon zèle un exemplaire dédicacé du livre de développement personnel qu’il avait écrit après son premier burn-out.
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