« Sale pédé », « Pourquoi tu marches comme une gonzesse », « T’es vraiment pas un dur ». Ces insultes, Eddy Bellegueule les entend quotidiennement. Né homosexuel dans un milieu très défavorisé, valorisant la virilité et la force tout en dénigrant la différence et la féminité, Eddy est sans arrêt moqué, maltraité et rabaissé non pas à cause de ses actes, mais à cause de son identité. « En finir avec Eddy Bellegueule », la pièce de théâtre mise en scène par Jessica Gazon et adaptée du roman autobiographique éponyme de Edouard Louis, est sans appel une pièce dotée d’une identité forte et populaire, accessible à toutes et tous.
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Une pièce accessible à tous
Et c’est cela qui fait la force du récit. En abordant et en montrant des scènes terribles comme les violences sexistes et homophobes subis par les protagonistes de la pièce, en faisant vivre au travers de la pièce le quotidien d’Eddy et en montrant la violence dont fait preuve sa famille envers lui malgré leur amour pour lui, encore, et encore, la pièce nous emprunt de cette violence. Elle nous la fait vivre nous-même, nous fait ressentir l’insoutenable et étouffante vie d’Eddy. Cela est particulièrement mis en exergue par le choix de faire interpréter le personnage d’Eddy par tous les acteurs sur scènes, nous poussant ainsi à réfléchir sur la position de ce dernier et comment celle-ci peut tous nous concerner.
Du fond avant tout
Mais la pièce ne se contente pas de nous faire ressentir des émotions fortes. Très engagé politiquement, ce que décrit avant tout la pièce, c’est l’inexorable cercle vicieux dans lequel se trouvent les personnages, la difficulté qu’il y a à s’extraire de son milieu social et les pressions que subissent les jeunes, mais également les plus vieux dans l’entourage proche d’Eddy. Si le père d’Eddy qui travaille à l’usine a mal au dos, c’est parce que c’est génétique, son père et son grand-père (ouvriers également) avaient tout autant de douleurs aux lombaires. Toutes les femmes de la région attrapent la même maladie, la maladie de la caissière, ce qui signifie rhumatismes et douleurs aux articulations des bras. Et s’il n’y a pas d’autres homosexuels dans l’entourage d’Eddy, c’est parce que tous les autres sont devenus des durs, bien virils comme il faut. Bref, des homosexuels qui sont peut-être refoulés, mais au moins ils ne sont pas moqués !
Ce message emprunt de sociologie sur les classes sociales et les transfuges de classe, il s’adresse avant tout aux classes plus populaires, d’où l’importance de produire une pièce de théâtre possédant moins de codes et ayant plus d’attrait pour tous. Et selon moi, il s’agit d’une réussite totale. Mêlant mise en scène plutôt classique, musique populaire et humour un peu potache mais touchant, la pièce est dynamique, claire, rapide et évite de se reposer trop sur un sous-texte qui n’est pas toujours évident à cerner. Bien que durant 1h45, à la fin de la pièce il m’a semblé que cette dernière ne pouvait pas avoir fini, tant le temps était passé vite.
Mais Eddy reste une exception…
Si une critique devrait être faite de la pièce (et peut-être au texte original, que je n’ai pas lu), c’est qu’elle ne s’attache pas du tout à ce qui fait de l’accès d’Eddy Bellegueule à la culture bourgeoise et au succès une exception, et que cette exception ne montre non pas qu’il est possible de changer de milieu social, mais à quel point il est compliqué de le faire. De plus, quelques scènes d’une grande violence ne me permettent toutefois pas de recommander cette pièce à tous les publics. Les plus jeunes et ceux que la violence choque, je vous conseille donc de vous abstenir.
En bref, « En finir avec Eddy Bellegueule » est une pièce pleine de cœur et d’humour, qui sera capable de convaincre les plus frileux du théâtre. Récit poignant d’Eddy, elle permettra d’avoir un regard nouveau et différent sur certaines réalités sociales. Et étant accessible à tous publics, elle permettra peut-être à certains de découvrir les joies de la sociologie.
Antoine Smit pour l’Etincelle