Éloge du ressentir

Embarrassantes, honteuses, puériles… Les émotions n’ont pas bonne réputation. Pourtant, nous sommes huit milliards d’êtres humains à les expérimenter au quotidien. Et si nous osions un changement de regard ?

Rougir de honte, pleurer en public ou crier sa colère : ces situations s’avèrent, pour beaucoup d’entre nous, très inconfortables. Nos émois nous gênent. Nous voulons les cadrer, les écourter voire les éliminer… Quitte à en oublier qu’ils sont parfaitement essentiels à notre survie. En effet, si notre espèce les a conservés au fil du temps, c’est entre autres car ils nous poussent à agir de la meilleure façon. Par exemple, la peur alerte d’un danger, la colère d’une injustice, la tristesse d’une perte significative.

Cependant, notre civilisation a évolué, et il devient plus rare de devoir fuir une bête sauvage ou engager un combat contre un rival. Alors, quel sens donner à nos émotions ? Faut-il pour autant les relayer au rang de relique préhistorique superflue ?

Détrompez-vous ! Nous aurions tort de nous en priver. Elles constituent une précieuse source d’informations, en identifiant les situations qui nous nuisent et celles qui nous stimulent. Pensez à votre dernière fierté : elle indique probablement un objectif important pour vous. De même qu’un sentiment de honte nous renseigne sur l’enfreinte d’une règle morale qui nous tient sans doute à cœur.

En réalité, nous utilisons déjà nos émotions pour prendre de nombreuses décisions. Le choix d’un métier ou d’un partenaire, comme celui d’un plat au restaurant, repose plus souvent sur un ressenti que sur une rigoureuse analyse. 

Les émotions possèdent aussi une immense dimension relationnelle. En exprimant du chagrin, nous communiquons à nos proches que nous avons besoin de leur soutien. L’expérience désagréable de la culpabilité nous pousse à réparer la faute commise. Bref, il serait pratiquement impossible de vivre correctement en société sans cette précieuse sensibilité.

Au-delà de leur utilité, pensons-nous réellement qu’une vie dépourvue de tout émoi soit à envier ? Croyons-nous sincèrement pouvoir nous passer de l’émerveillement d’un ciel étoilé, la mélancolie d’un morceau de piano ou l’euphorie d’un fou rire ? Les émotions colorent notre existence, elles fondent notre humanité.

Encore faut-il savoir s’en servir. Malmenées, elles peuvent nous rendre le quotidien particulièrement difficile, s’exprimant avec exubérance ou, au contraire, se rendant inaccessibles. Mais en les considérant avec douceur et respect, il est possible d’apprendre à les apprivoiser. 

Cela passe d’abord par une prise de conscience de ses mouvements intérieurs, jour après jour, en les nommant. Sans chercher à les éliminer ou à les juger, mais simplement à les observer. Cultivez votre curiosité à leur égard : quand surviennent-ils ? Et s’ils indiquaient un besoin non comblé, une envie d’ailleurs, une limite relationnelle à poser ? Bref, ils représentent une voie royale vers la connaissance de soi. Et vous constaterez bien vite que, dans de nombreux cas, leur porter une juste attention permet de les apaiser. 

Plus largement, il est crucial de transformer notre regard à un niveau non seulement individuel, mais aussi collectif. Les émotions ne sont pas qu’une affaire d’enfants ou de « bonnes femmes ». Elles nous accompagnent tout au long de notre vie, et méritent d’être traitées dignement. Apprenons aux petits garçons et aux petites filles à les respecter :  les écouter sans nous y soumettre, ne pas les réprimer ni les amplifier, les accueillir sans porter de jugement. Croyez-moi, nous avons tant à y gagner.

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